Médiathèque (+ PLUS)

Water, de Deepa Mehta

Troisième volet de la trilogie consacrée à l'Inde, après Earth and Fire

En 1938, l’Inde est sous domination britannique ; un certain Mohandas K. Gandhi est arrivé d’Afrique, revenu dans son pays d’origine afin de lutter contre les colonialistes et tenter de briser le carcan des traditions religieuses hindues qui étouffent le pays et...

... aveuglent les croyants.

La petite Chuyia, âgée de 7 ans, mariée à un homme malade et beaucoup plus âgé qu’elle se retrouve rapidement veuve ; la petite fille est renvoyée sans ménagement dans sa famille et ensuite, menée dans cette « maison des veuves » à Benares, au bord du Gange. L’enfant ne comprend pas ce qui lui arrive, elle ne sait pas que selon les écritures dites saintes, elle est supposée finir ses jours dans cette communauté de femmes résignées à leur sort, vieilles pour la plupart.
Elle reste persuadée que sa mère viendra bientôt pour la ramener à la maison.

Bien vite, la petite fille, espiègle et pas décidée à accepter la vie qu’on lui impose, se révolte contre Madhumati, la plus forte des veuves qui s’érige en maîtresse de la communauté ; c’est une femme dure, méchante, sournoise qui en impose à tous sauf à Chuyia, à la calme Shakuntala et à la jeune et très belle Kalyani.

Pourtant une nouvelle loi a été promulguée, permettant désormais aux veuves de se remarier avec un homme de leur choix. Personne ne l’a dit à ces femmes, tant il est vrai que pour les religieux de tout acabit, il est tellement plus simple facile de ne parler que des lois qui les arrangent bien.
C’est Narayan, un jeune juriste, disciple du Mahatma, qui souhaite épouser Kalyani dont il est tombé amoureux qui en parlera. La mère du jeune homme est choquée par cette union, chez les brahmanes, les nouvelles lois et les théories de Gandhiji sont peu populaires.

Est-il possible de rompre les traditions ancestrales aussi facilement ? Même la douce Kalyani a peur de les enfreindre, d’autant plus qu’elle n’appartient guère à la même caste que le jeune homme, mais l’amour que lui porte Narayan fait tomber ses réserves, jusqu’au moment d’arriver à sa maison.

Car ce qu’ignore Narayan est que de l’autre côté du fleuve, dans la maison cossue qui borde le Gange et où vivent les parents de son amoureux, la jeune veuve est régulièrement emmenée par le castrat Gulabi à la solde de Maddhu, pour être livrée au père. Pour cette femme odieuse, vendre la plus jolie de ses cohabitantes est une manière d’avoir plus de confort. Et pour les religieux de peu de scrupules, avoir une veuve pour maîtresse n’est pas un péché ! Kalyani après avoir subi les humiliations de la maquerelle, ne survivra pas à cette épreuve mise sur son amour.

A côté de cette romance digne de “Romeo & Juliette” en toile de fond, la réalisatrice Deepa Mehta aborde une fois encore le poids des traditions religieuses pesant sur son pays d’origine.

Avec l’arrivée au sein d’une communauté de veuves au crâne rasé, traitées en paria, en intouchable, dont l’ombre ne peut en aucun cas « toucher » une femme jeune en âge de se marie, sous prétexte de lui porter malchance, de l’enfant curieuse, espiègle, tendre qu’est la petite Chuyia, certaines de ces résidentes vont réfléchir, se poser des questions comme Shakuntala, calme, sérieuse, croyant jusqu’alors fermement aux écritures.

Mais comment lutte-t-on contre un mode de vie tyrannique et dépassé ? car d’après la réalisatrice, aujourd’hui encore les veuves indiennes sont mises au ban de la société, doivent mendier pour subsister. Personne ne les aide, ne les protège.

J’ai été, et suis encore, totalement sous le charme de ce film ; non seulement l’histoire, bien que dramatique, est très belle, mais les images surtout sont superbes, on a l’impression de feuilleter un magnifique livre d’images, tout en apprenant quelque chose sur les traditions ancestrales d’un pays qui s’y accroche pour le malheur des plus démunis.

L’interprétation est excellente, surtout la petite Sarala, dans le rôle de Chuyia. Elle est fraîche et gaie comme un pinson, passe par toutes les émotions avec naturel et aisance ; on est loin ici du jeu apprêté de certaines gamines dans le cinéma US.
John Abraham et Lisa Ray sont le couple malheureux de cette histoire pleine de mélancolie et de colère aussi, mais de cette colère calme, bien plus forte que tous les éclats de rage.
Il faut encore citer Seema Biswas, la sage Shakuntala et Manorama en odieuse Madhumati.

La musique de Michayl Dana et A.R. Rahman accompagne le film avec beaucoup de justesse. Le titre fait référence au fleuve, au bord duquel se situe la maison, symbole de toute chose qui passe, qui nettoie tout, qui emporte tout même parfois les traditions.
L’histoire dure deux heures et on ne s’ennuie pas un seul instant, contrairemetn à beaucoup de films trop longs qui « bond »issent actuellement sur les écrans.

Je regrette ne pas avoir vu les deux autres volets de cette trilogie consacrée à l’Inde coloniale, à savoir « Earth » & « Fire ». Chacun d’eux traitait, au travers d’une histoire d’amour malheureux, du poids que les traditions font peser sur les femmes particulièrement.

Je ne comprends pas pourquoi l’on fasse si peu de cas de ce type de cinéma d’auteur, le cantonnant soi-disant aux belles images et aux cinémathèques.


Imprimé depuis Cafeduweb - Arts (http://arts.cafeduweb.com/lire/10679-water-deepa-mehta.html)